by Matthieu Tardis
Depuis quelques années, les mots « crise » et « immigration » sont étroitement associés en Europe et en Amérique du Nord. La « crise migratoire » n’en finit pas de déchirer les Européens tandis que ce que le Président Trump a qualifié de « crise humanitaire et sécuritaire » à la frontière sud des Etats-Unis a été à l’origine de la plus longue fermeture du gouvernement qu’a connu le pays. À vrai dire, la vie des étrangers, des immigrés ou des migrants – les différents termes utilisés en fonction des époques – sont liés aux crises depuis longtemps déjà. Ils sont souvent la variable d’ajustement ou les premières victimes des crises économiques qui ont touché les pays occidentaux à différentes périodes.
Aujourd’hui, les migrants sont décrits comme les facteurs des crises, des menaces pour la cohésion sociale et la sécurité nationale. Pourtant, les chiffres contredisent les discours alarmistes des responsables politiques des deux côtés de l’Atlantique. Rappelons que si les migrants internationaux n’ont jamais été aussi nombreux (260 millions), ils représentent à peine 3 % de la population mondiale et que si le nombre de réfugiés a augmenté de plus de 50 % depuis le début de la décennie, plus de 85 % d’entre eux se trouvent dans des pays non membres de l’OCDE.
Par conséquent, y-a-t-il réellement des « crises migratoires » en Europe et aux Etats-Unis ? Certes, l’Union européenne a connu un afflux exceptionnel en 2015 avec l’arrivée d’un million de réfugiés sur ses côtes. Cependant, il faut les contextualiser à l’échelle de l’Union européenne qui compte 500 millions d’habitants et qui représente un quart de la richesse mondiale. À titre de comparaison, le Liban a connu un afflux supérieur depuis le début de la guerre en Syrie. Quant aux États-Unis, le niveau des franchissements de la frontière avec le Mexique n’a rien d’exceptionnel. Il est même plutôt en baisse.
Pourtant, dans les deux cas, il y a bien des situations de crise humanitaire symbolisées par le retour des campements de fortune et l’augmentation du nombre de personnes qui meurent pour rejoindre ces pays. Or, ces crises sont avant tout créées par les États. C’est l’absence de solidarité entre les pays européens qui a détérioré la situation en Grèce et en Italie. La succession des crises liées aux questions d’immigration est la conséquence de mesures adoptées par l’administration Trump, du « travel ban » aux restrictions d’entrée à la frontière mexicaine en passant par la séparation des familles.
En d’autres termes, les États membres de l’UE et les États-Unis nourrissent ces crises mais ils ne s’en sentent pas responsables. Au contraire, ils instrumentalisent ces crises, supposées ou réelles, pour justifier des mesures de gestion de gestion de crise, c’est-à-dire des mesures dérogatoires dans des sociétés démocratiques fondées sur le respect des droits humains. Le shutdown américain en est une des tentatives les plus abouties. Elle a pour l’instant échoué mais elle illustre le cercle vicieux dans lequel sont tombés les pays occidentaux. Les questions migratoires ne sont que des prétextes qui cachent ou exacerbent les véritables crises que connaissent ces pays : la panne du processus de décision politique. Le shutdown questionne les institutions américaines. De même, l’Union européenne connaît actuellement un blocage institutionnel sur la politique d’asile et d’immigration qui pourrait bien lui être fatale lors des élections européennes de mai prochain. En d’autres termes, ces crises migratoires en disent beaucoup plus sur l’état des démocraties occidentales que sur les réalités migratoires de la planète.
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